L'avertissement

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Ivona rasait pratiquement les couloirs alors qu’elle se dirigeait vers le prochain cours. Elle sentait son estomac complètement retourné même s’il s’était vidé il y a vingt minutes. Si elle baissait la tête, elle pourrait sans doute passer les jours suivants loin de sa mère. Malheureusement, elle savait que ce n’était jamais si simple avec elle. Et lorsqu’elle entendit son nom, elle se figea aussitôt. Elle se retourna et vit sa mère avancer vers elle. Ivona déglutit, et elle recula de quelques pas, mais son dos heurta un des murs du couloir. Les élèves n’étaient pas encore revenus de la pause, mais Ivona avait décidé de venir plus tôt pour éviter Anasteria. Elle ne voulait pas se confronter à l’insistance de son amie. Elle ne se sentait pas assez forte pour lui mentir sur son état et la repousser. Mais elle regrettait désormais son choix maintenant qu’elle devait affronter sa mère seule.

 

— J’espérais pouvoir te parler, commença Voxana. Nous avons beaucoup de choses à nous dire, Ivona.

 

Ivona essuya ses paumes moites sur son pantalon et détourna le regard. Non, elle ne voulait surtout pas converser avec elle. Elle pouvait imaginer les remontrances qu’elle allait subir, comme à chaque fois.

Une déception.

 

— Je n’ai pas grand-chose à vous dire.

— Vraiment ? Pour quelqu’un qui se retrouve mêlé à ces histoires, je pensais que tu te montrerais plus bavarde.

 

Ivona mordit sa lèvre inférieure pour sceller sa bouche. Elle avait fait une promesse à Anasteria, et en dépit de la situation, elle voulait la tenir. Sa mère poussa un soupir et secoua sa tête de dépit, comme elle savait si bien le faire.

 

— J’imagine que je ne devrais pas être surprise. Tu as toujours été une enfant difficile. Carmen a eu tort de croire en toi.

— J’ai réussi à finir première ! protesta Ivona.

— Et ? Tu voudrais une médaille ? Vu le niveau de tes camarades, c’est la moindre des choses. Et cela n’excuse en rien ton comportement et tes erreurs.

 

Ivona se sentait offensée, comme à chaque fois que sa mère lui parlait. Ne pouvait-elle pas au moins une fois reconnaître son talent et ses efforts ? Bien sûr que non. Mais elle continuait d’espérer que ce jour viendra.

 

— Je n’ai rien fait, lâcha-t-elle. Ce n’est pas de ma faute.

— Très bien. Alors, dis-moi qui est responsable. Je suis curieuse d’entendre ta version des faits.

 

Ivona leva les mains au ciel de frustration.

 

— Je ne sais pas ! On ignore ce qui s’est passé, et on a juste agi pour ne pas mourir. C’est tout. Fin de l’histoire.

 

Voxana resta un instant silencieuse. Et Ivona détestait ça. Sa mère possédait un regard perçant qui lui donnait l’impression d’être sondée jusque dans son âme. Et surtout, elle ne montrait jamais une seule expression sur son visage. Souvent, Ivona avait le sentiment qu’elle savait tout à l’avance, et qu’elle jouait simplement avec les autres. Peut-être qu’elle avait déjà trouvé le responsable et testait sa fille. Le mal dans son ventre redoubla d’intensité et elle détourna le regard.

 

— Que peux-tu me dire sur ton amie ? Tu sais, la rousse.

— Elle s’appelle Anasteria, répondit-elle dans un soupir. On partage la même chambre. Elle vient d’Islac, et elle est la seule de sa famille à posséder des pouvoirs.

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout. On est juste amies.

 

Voxana lâcha un bref rire lugubre. Elle croisa doucement les bras.

 

— Visiblement, elle est plus une perte de temps, et ne t’apporte que des ennuis. Comme tu peux le voir. Je doute vraiment qu’elle te considère comme telle, mais soit. Rien d’autre à son sujet ? Elle n’a jamais agi différemment ?

 

Ivona avala une boule d’angoisse logée dans sa gorge. Elle essaya de se convaincre que les mots empoisonnés distillés par sa mère n’étaient que mensonges. Mais cela n’atténua pas la douleur. En dépit de leur relation et de la bienveillance d’Anasteria, Ivona ne pouvait s’empêcher de penser qu’un jour elle se lasserait d’elle. La plupart du temps, Ivona rangeait ces angoisses dans une boite de son esprit, et tentait de les ignorer. Et cela marchait, sauf face à sa mère. Elle détenait un don pour appuyer sur ses démons. Néanmoins, Ivona gardait encore assez de lucidité pour ne pas briser sa promesse.

 

— Elle est normale, mentit Ivona. Elle possède beaucoup trop d’énergie, mange bien trop, ronfle, et elle fait preuve d’étourderie très souvent. Mais c’est tout.

— Et tes autres amis ?

— Johan est quelqu’un de sympathique. Ce n’est pas vraiment quelqu’un qui aime le combat ou les entraînements. En revanche, il est doué pour les préparations. Laurène semble un peu peureuse, mais depuis qu’elle étudie dans la classe des marchands, elle se porte comme un charme. Davos possède un égo surdimensionné et une fierté mal placée. Et ils sont tous affreusement normaux.

 

Voxana ne répondit pas tout de suite. Et Ivona se doutait qu’elle ne croyait pas un traître mot de ce qu’elle avait dit. Sa mère effectua un autre pas vers elle et se stoppa à quelques centimètres. Ivona essaya de garder son calme, mais tout son corps restait alerte, et guettait le moindre mouvement menaçant. Le regard de sa mère se plongea dans le sien, et s’attarda un peu plus sur son œil meurtri.

 

— Si je découvre que tu m’as menti, Ivona…

— Je ne mens pas, rétorqua-t-elle.

— On verra. Tu sais que je découvrirais la vérité tôt ou tard. En attendant, je te conseille vivement de prendre tes distances avec tes amis. Visiblement, ils te causent des ennuis. Je ne pense pas qu’ils méritent que tu te sacrifies pour eux.

— Je dois aller en cours, murmura Ivona.

— Bien sûr, vas-y.

 

Ivona n’adressa même pas un regard à sa mère, et se dirigea vers la salle de classe. Elle essaya de calmer le rythme cardiaque de son cœur, sans succès. Elle avait beau ne pas être responsable de cette situation, elle savait que Voxana ne ferait preuve d’aucune pitié avec elle. Pour le moment, tout ce qu’elle pouvait espérer, c’était faire profil bas, et attendre que sa mère trouve la solution. Elle avait l’habitude depuis son enfance. Lorsqu’elle arriva vers la salle de classe, elle prit une grande inspiration pour se calmer. Avec ce léger contretemps, les étudiants commençaient à rentrer. Le cours théorique du jour se déroulait avec les apprentis chercheurs, et de ce fait, les places isolées devenaient plus rares. Néanmoins, Ivona trouva une place près d’une des fenêtres et s’installa. Son souhait de passer la prochaine heure tranquillement vola en éclat lorsqu’elle entendit la voix d’Anasteria.

 

— Hey Ivi.

 

Elle se glissa doucement sur la place libre à côté avant qu’Ivona ne puisse protester. Et comme à son habitude, Anasteria lui adressa un sourire timide. Elle ne semblait nullement atteinte par les évènements, et cela agaça Ivona. Malgré elle, les mots de sa mère résonnaient dans son esprit, alors elle se tourna pour ignorer purement et simplement Anasteria. Mais elle aurait dû savoir que cela ne découragerait pas sa colocataire. Elle sentit sa main se poser délicatement sur épaule.

 

— Je me doute que la venue de ta mère te trouble, mais —

— Tais-toi, intervint sèchement Ivona. Je veux suivre le cours.

— Il n’a pas encore commencé.

— Non, mais je te connais. Tu vas parler pendant une heure.

— Je me demandais si tu allais bien.

— Je ne veux pas parler, siffla Ivona.

 

Elle sortit ses affaires et n’adressa plus aucun regard à Anasteria. Sa colocataire lâcha un soupir défaitiste, mais n’insista pas. Et Ivona la remercia intérieurement. La dernière chose qu’elle souhaitait c’était une dispute avec elle. Secrètement, elle espérait que son amie comprenne que sa réaction n’était qu’une conséquence de la venue de sa mère. Mais elle pouvait déjà imaginer la déception et la fin de leur courte relation lorsqu’elle entendit Anasteria soupirer en sortant ses affaires. Dans sa vision périphérique, Ivona vit qu’Anasteria se massait la tempe, sans doute à cause d’une migraine. Le cœur de la jeune femme se serra un peu plus. Lorsque son amie souffrait d’une migraine, les ennuis arrivaient bien vite.

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